Les biens culturels pillés en Afrique seront restitués


85 à 90% du patrimoine africain serait aujourd’hui hors de son continent d’origine

Walid Mebarek

El Watan, 27 novembre 2018 à 10 h 27 min

Un rapport a été remis vendredi dernier aux autorités publiques françaises sur la restitution des biens culturels africains, rédigé par Felwine Sarr et Bénédicte Savoy. L’historienne Bénédicte Savoy occupe au Collège de France, à Paris, la chaire internationale d’Histoire culturelle du patrimoine artistique en Europe (XVIII-XXe siècles). Felwine Sarr est économiste et enseigne à l’université Saint-Louis, au Sénégal.

Dans un entretien au journal Libération, les deux universitaires expliquent : «La plupart des spécialistes considèrent que 85 à 90% du patrimoine artistique africain se trouve hors du continent. C’est une anomalie à l’échelle du monde. Aucun autre continent ne connaît cette situation. Il y a des œuvres à voir partout en Australie, en Amérique latine, en Egypte, en Grèce…

En Afrique, on ne peut presque rien voir. Cette exception justifie un rééquilibrage de la géographie africaine dans le monde. Il ne s’agit pas de punir les uns et de tout rendre aux autres. Mais la jeunesse africaine a droit à son patrimoine. Les Africains n’ont même pas accès à la créativité de leurs ancêtres. La reconnexion à cette histoire culturelle est aussi un élan vers l’avenir.

Le patrimoine africain a nourri toute une avant-garde artistique européenne, Picasso, mais aussi les surréalistes, sans parler de tous les jeunes artistes ou designers européens qui, aujourd’hui, peuvent se nourrir au musée des œuvres d’ici et d’ailleurs.»

D’après Bénédicte Savoy et Felwine Sarr, 90 000 objets provenant d’Afrique subsaharienne se trouveraient actuellement dans les collections publiques françaises, dont 70 000 au musée du Quai Branly, à Paris. Les 20 000 autres sont réparties dans d’autres musées (Cherbourg, Le Havre, La Rochelle, Bordeaux, Nantes et Marseille).

Selon la radio RFI, qui a eu entre les mains le rapport, «ces restitutions pourraient concerner quatre types d’objets. Ceux saisis dans le cadre d’agressions militaires, à condition que leur acquisition soit antérieure à l’adoption en 1899 des premières conventions de La Haye codifiant les lois de la guerre, les objets réquisitionnés durant la période coloniale (1885-1960) par des militaires, des administrateurs ou leurs descendants, les objets pris ou achetés de force lors des grandes expéditions scientifiques françaises en Afrique au XXe siècle et les objets acquis illégalement après les indépendances, notamment par le biais de trafics. La majorité des objets africains se trouvant actuellement dans les collections publiques françaises ont été acquis durant la période coloniale».

Le rapport mentionne aussi des objets provenant de pays n’ayant pas été colonisés par la France : le Ghana, le Nigeria ou encore l’Ethiopie.

RFI rappelle que «le chef de l’Etat français avait annoncé, le 28 novembre 2017, à Ouagadougou, la mise en œuvre dans un délai de cinq ans de restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain, reconnaissant l’anomalie que constitue sa quasi-absence en Afrique subsaharienne. Selon les experts, 85 à 90% du patrimoine africain serait hors du continent».

Une réappropriation symbolique est cruciale

Pour les conservateurs de ces musées, la question est de savoir si on ne va pas à leur tour les dépouiller de ces œuvres rares… Mais les auteurs du rapport sont conscients des enjeux : «Il ne s’agit pas de vider les musées français, donc il restera toujours de nombreuses œuvres pour témoigner ici de cette histoire de captation patrimoniale.

Mais il faut aussi un réel travail sur les départs et les retours. Il faut que l’histoire de la constitution de ces collections apparaisse dans les musées en même temps que les œuvres».

Dans l’entretien à Libération, ils replacent cette quête de la restitution dans son contexte : «Dans certains pays, la mémoire des pertes est encore vive, car elle est liée à la fin d’un empire, ou à des actions militaires violentes (…) Il y a une amnésie sur ces questions. De pays en pays, la mémoire de la perte est très variable. Que signifie le retour d’objets qu’on n’a jamais vus ? Une réappropriation symbolique est cruciale. Nous avons aussi réfléchi à la question de la compensabilité de la perte.

Toujours en partant des objets. Certains d’entre eux sont en effet plus que des objets, ce sont des sujets agissants, détenteurs d’énergies, de croyances… Cette valeur sacrée est souvent définitivement perdue, irrécupérable.

C’est une perte incompensable, incommensurable. Nous pensons donc à la réparation symbolique, pas forcément quantifiable en termes financiers, mais qui permette d’instaurer de nouvelles relations entre Afrique et Europe, plus équitables, plus respectueuses.»

Déjà, le président Macron a décidé de restituer 26 œuvres réclamées par le Bénin.

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